Un ouvrage au crochet tunisien aura toujours tendance à s’enrouler sur lui-même. Plus l’étoffe sera dense, plus l’enroulement sera sévère. Il s’agit d’une question purement mécanique de tension et de répartition de la masse fibreuse dans l’ouvrage. L’enroulement se produit quand il y plus de matière d’un côté (généralement l’envers de l’ouvrage) que de l’autre.
La bonne nouvelle, c’est qu’il est possible de lutter contre cet enroulement. Vous devez tenir compte de plusieurs facteurs et, idéalement, combiner plusieurs techniques pour minimiser l’effet « ça roulotte ».
Le choix du crochet
Un crochet d’une ou deux tailles au-dessus du calibre mentionné sur l’étiquette du fil utilisé est une première façon de diminuer l’enroulement. En d’autres mots, ne vous fiez pas au calibre d’aiguilles ou de crochet recommandé sur les étiquettes.
En fait, plus le crochet est gros, plus les boucles relevées au rang aller sont allongées, créant ainsi un espace dans lequel la chaînette de rang retour peut se placer sans être « fagotée ». Il y a toujours autant de matière sur l’envers de l’ouvrage, mais celle-ci n’est pas coincée sur l’arrière.
Si le crochet est vraiment très gros, il n’y aura pas d’enroulement du tout. Par contre, l’étoffe aura un aspect « filet de pêche ». C’est ainsi que je qualifie les étoffes grillagées, « à trous » entre chaque maille.
Enfin, rien ne vous empêche d’utiliser un plus gros crochet pour les premiers rangs et de passer à un crochet plus fin pour le reste de l’ouvrage. L’enroulement sera freiné par les premiers rangs assez larges qui n’entraîneront pas les rangs suivants.
Le choix du fil
Tous les fils n’ont pas les mêmes propriétés et ne réagiront pas de la même façon à l’enroulement. Certains fils sont des « amis naturels » du crochet tunisien. Je pense au mohair et soie, par exemple. Ce fil tout fin et duveteux, sans forte densité, qui donne du gonflant aux ouvrages, sans cet aspect « filet de pêche ».
Faites l’essai d’un projet en mohair et soie au crochet tunisien. Votre ouvrage montera vite et n’aura qu’un faible enroulement. Sur la photo ci-dessous, le fil mohair et soie est assez fin (catégorie dentelle) mais j’ai utilisé un crochet 5,5 mm pour faire des points simples. Petit bémol, cependant: le mohair duveteux ne pardonne aucune erreur. Si vous souhaitez défaire et refaire une partie de votre ouvrage, vous aurez toutes les peines à le faire.
Le choix du point
Le point simple a plus de matière à l’arrière qu’à l’avant.
Au rang aller, le fil reste derrière le crochet et forme une mini boucle horizontale entre chaque boucle relevée sur le crochet.
Au rang retour, la chaînette, formée de trois brins, sera repoussée vers l’arrière à chaque nouveau rang aller en points simples.
Les points modifiés aident à lutter contre l’enroulement parce que les boucles relevées au rang aller sont imbriquées dans la chaînette du rang retour précédent. Cette imbrication permet de retenir (un peu) la chaînette vers l’avant.
Les points envers aident aussi à lutter contre l’enroulement. En passant le fil devant l’ouvrage avant de relever une nouvelle boucle au rang retour, vous ajoutez de la matière à l’avant de votre ouvrage. Vous contrebalancez ainsi le poids de la matière à l’arrière.
Les points allongés luttent également contre l’enroulement par leur nature « en hauteur ». Les points étant, en quelque sorte, à deux étages, l’excès de matière à un niveau est compensé par le peu de matière au second niveau.
Le choix du rang de base
Par rang de base, j’entends la façon dont les mailles sont réalisées au tout premier rang. En optant pour la chaînette de mailles en l’air, vous choisissez une solution plutôt neutre, qui ne jouera aucun rôle dans la lutte contre l’enroulement. La maille en l’air étant constituée de brins, en piquant le crochet dans le brin arrière, vous pourriez lutter un peu contre l’enroulement, mais franchement… c’est léger.
En optant pour une chaînette plus allongée (de mailles serrées ou même de brides), vous contrariez déjà mieux l’enroulement des premiers rangs. Malheureusement, selon les modèles, une chaînette plus allongée n’est pas toujours interchangeable avec une chaînette de mailles en l’air.
La mise en forme
Par mise en forme, je veux parler du blocage. Je crois que « blocage » vient de l’anglais, « blocking« . Quoi qu’il en soit, j’utilise mise en forme et blocage pour désigner le même procédé: mouiller ou vaporiser ou donner un petit coup de vapeur ou étendre un ouvrage aux dimensions souhaitées pour le forcer à prendre la forme désirée. La méthode de blocage dépend du type de fil. La laine ne supporte pas le même traitement que le lin.
Câbles et épingles sont indispensables pour la mise en forme d’ouvrages en dentelle ou aux formes bien particulières.
Mais je ne les utilise jamais pour des ouvrages aux formes simples ou des pulls et cardigans sans coutures. Je me contente de mouiller les ouvrages, de presser l’excédent d’eau et de les étendre sur un grand linge en leur donnant la forme souhaitée. Si l’enroulement n’est pas sévère au départ, c’est largement suffisant pour en venir à bout.
Les formes de l’ouvrage
La forme d’un ouvrage a son importance dans la lutte contre l’enroulement. Typiquement, les deux pointes très fines de part et d’autre d’un châle triangulaire très allongé auront toujours un enroulement en « tir bouchon ». C’est alors plutôt la forme particulière de l’ouvrage qui se prête à l’enroulement.
J’ai lu et vu dans plusieurs tutos anglophobes que le fait d’aller piquer dans la maille arrière de la chaînette de base (je ne sais pas comment l’appeler en français’ il s’agit du « bumpy » ou « back » loop) pouvait aider à lutter contre l’enroulement, et aussi permettait d’avoir une lisière plus régulière. Personnellement je trouve que ça aide parfois, mais selon le type de fil ça ne change rien. As-tu déjà essayé ? Cette back loop n’est pas facile à attraper au début, alors je me demande si ça vaut vraiment le coup de s’embêter avec cette façon de faire.
Sinon j’aime bien commencer par des brides au lieu de simplement relever des mailles dans la chaînette de départ, quand le projet me le permet. Et j’aime beaucoup aussi ta méthode de montage sans chaînette (au début je gardais la même taille de crochet tout le long et je me retrouvais avec des boucles affreusement longues et disproportionnées).
Le « back loop » (ou « ridge » ou « bump »), c’est ce que j’appelle le brin arrière (par opposition aux brins avant, supérieur et inférieur) de la maille en l’air. Piquer dans ce brin arrière donne une jolie lisière, les brins avant sont bien mis en évidence. Mais dans la lutte contre l’enroulement, selon moi, ce n’est pas très efficace. Le poids de deux brins de la chaînette de mailles en l’air est rarement suffisant pour contrecarrer la force de l’enroulement. Comme tu le dis, tout dépend du fil. Avec du fil fin (genre lace ou light fingering), c’est bien. Avec du fil plus gros, je ne vois pas la différence.
Faire des brides dans la chaînette de départ est une bonne option pour lutter contre l’enroulement. Pas toujours faisable en fonction des modèles, mais très efficace. Une variante, pour éviter de faire une chaînette de mailles en l’air d’abord, serait de faire une chaînette de brides directement. Résultat plus élastique, plus souple. Mais ce n’est pas toujours ce que l’on recherche dans les lisières.
Ma méthode de montage de mailles sans chaînette se fait avec un crochet plus petit idéalement. Les mailles à la base restent un peu allongées, mais c’est justement cet espace qui permet de lutter contre l’enroulement. Le gros avantage, c’est la facilité avec laquelle on peut compter les mailles une fois montées sur le crochet. Beaucoup plus simple que de compter les mailles en l’air d’une chaînette. Cette méthode, je l’utilise essentiellement pour les encolures (élasticité optimale).